Dolet Etienne, "Je n'ignore pas (Seigneur par gloire immortel)..."

 Transcription: id 47885
Incipit
Je n'ignore pas (Seigneur par gloire immortel)...
Titre
Estienne Dolet, A Monseigneur de Langei, humble salut et recongnoissance de sa liberalité envers luy
Transcription

Je n'ignore pas (Seigneur par gloire immortel) que plusieurs ne s'esbaissent grandement de veoir sortir de moy ce present Oeuvre : attendu que par le passé j'ay faict et fais encores maintenant profession totalle de la langue Latine. Mais à cecy je donne deux raisons : l'une, que mon affection est telle envers l’honneur de mon pais que je veulx trouver tout moyen de l'illustrer. Et ne le puis myeulx faire que de celebrer sa langue, comme ont faict Grecs et Rommains la leur. L'aultre raison est que, non sans exemple de plusieurs, je m'addonne à ceste exercitation.

[manchette : « Autheurs antiques illustrateurs de leur langue »]

Quant aux Antiques tant Grecs que Latins, ilz n'ont prins aultre instrument de leur eloquence que la langue maternelle. De la Grece, seront pour tesmoing Demosthene, Aristote, Platon, Isocrate, Thucydide, Herodote, Homere. Et des Latins, je produis Ciceron, Cæsar, Salluste, Virgille, Ovide. Lesquelz n'ont delaissé leur langue, pour estre renommés en une aultre. Et ont mesprisé toute aultre, sinon qu'aucuns des Latins ont apprins la Grecque, affin de sçavoir les arts et disciplines traictées par les Autheurs d'ycelle.

[manchette : « Aulcuns Autheurs modernes illustrateurs de leur langue, tant en Italien, qu’en Françoys »]

Quant aux modernes, semblable chose que moy a faict Leonard Aretin, Sannazare, Petrarcque, Bembe (ceulx là Italiens), et en France Budée, Fabri, Boville, et maistre Jacques Sylvius. Doncques non sans l'exemple de plusieurs excellents personnages, j'entreprends ce Labeur, lequel, Seigneur plein de bon jugement, tu recepvras non comme parfaict en la demonstration de nostre langue, mais seulement comme ung commencement d'ycelle. Car je sçay que quand on voulut reduire la langue Grecque et Latine en art, cela ne fut absolu par ung homme, mais par plusieurs. Ce qui se faira pareillement en la langue Francoyse, et peu à peu par le moyen et travail des gens doctes, elle pourra estre reduicte en telle parfection que les langues dessudictes. A ceste cause (Seigneur tout humain) je te requiers de prendre ce mien labeur en gré, et s'il ne reforme totallement nostre langue, pour le moyns pense que c'est commencement qui pourra parvenir à fin telle, que les estrangiers ne nous appelleront plus Barbares. Te soubvienne aussi en cest endroict, qu'il est bien difficile qu'une chose soit inventée et parfaicte tout à ung coup. Parquoy tu te doibs contenter de mon invention, et en attendre ou par moy, ou par aultres, la parfection avec le temps. Joinct aussi qu'en choses grandes et difficiles, le vouloir doit estre assés.

[manchette : « Le comble des vertus de Monsieur de Langei »]

Je laisse ce propos, et te veulx dire ce qui m'a esmeu de te dedier ce Livre. Certes l'opinion et estime grande que j'ay de ton sçavoir, eloquence et jugement en tout esmerveillable, m'a induict à ce faire, aultant ou plus que l'humanité, et liberalité, de laquelle tu uses de jour en jour, de plus en plus, en mon endroict, et ce sans aulcun mien merite : car de te faire aulcun service, meritant telle amour que tu me la portes et monstres par effect, cela est hors totallement de mon pouvoir. Toutesfoys pour suppliment du pouvoir, la voulunté te doibt satisfaire : laquelle est telle que, sans exception d'aulcun Humain, je te revere comme ung Demidieu habitant en ces lieux terrestres, et estincellant de tous costés par une lumiere de vertus à toy seul octroiées par l'Omnipotent : Omnipotent envers toy prodigue de ses graces, si jamais il en eslargist à aulcune sienne creature. Et qui est celuy qui puisse à mon dict contredire, s'il a congnoissance de tes faicts ? Nul ne doubte de la bonté de ta nature. Chascun se sent de ta munificence. Toutes Nations estranges ne preferent aulcun à toy, touchant l'art militaire et conduite de guerre. Quant à la politique et gouvernement equitable d'un païs, le Piedmont en donnera tesmoignage : en laquelle Province tu es à present gouverneur soubz l'autorité du Roy, qui t'a esleu à ceste charge, comme personne idoine à tous faicts de grand conseil et prudence. Croy (Seigneur le premier des Humains) que je suis l'homme le moins admirant les hommes sans raison, et cause vehemente : mais tes vertus et parfections infinies m'ont ravy jusques à là que sur touts je t'adore ; et ceste affection, la Posterité n'ignorera si mes Oeuvres meritent immortalité de nom. Icy feray fin de mon epistre, te priant de rechef avoir ce mien Livre pour aggreable.

De Lyon ce dernier jour de May Mil cinq cents quarante.

Copiste
Claire Sicard
 
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