Le plus grand peintre Ephesien
N’a tel pourtrait en avant mis,
Que mon tableau Parnassien
Ornant
mon Roy et ses amis :
Bien que ses traits, et ses pourtraits
Fussent sur tous ingenieus,
Toutesfois ses pourtraits et traits
Sont envieillis par le temps vieus ;
Et non seulement envieillis,
Mais avecques leur Maitre aussi
Sont enterrez, ensevelis,
Et du tout nuls en ce temps cy.
O foible art que l’on vante tant
Que de pourtraire un grand Seigneur !
Qui donra mil escus contant
Pour acquerir tant peu d’honneur,
D’avoir son corps, ou son seul chef,
A quelques yeus representé,
Soit de plat, ou soit de relief,
Et au vray naif raporté ?
Peu de gens, et pour peu de temps
Verront ton image, ou pourtrait :
Par cas de feu, de pluye, ou vents
Sera consumé, ou deffait.
Mais ce que la Muse ha de beau,
Se fait bien voir par l’Univers :
Tousjours dure son saint Tableau,
Coulouré et semé de vers :
Et son chant peut rendre immortels
Les mortels qu’elle veut chanter :
Chant qui immortels et mortels
Peut à tout-jamais contenter.
Aussi le Roy Agelisa'
Ne voulut onq estre pourtrait,
Querant autre honneur que cela,
Et plus durable, et plus parfait.
Et Isocrates instruisant
Son Roy, entre autre instruccion
Telle sentence alloit disant,
Digne de sa profession :
"Pense plustost à delaisser
Ta vraye image de l'esprit,
Que de ton corps faire tracer
Le trait et pourtrait qui perit."
Ce que je ne di pour blamer
Les subtils Peintres et sculpteurs :
Je les admire, et veus aimer,
Mais non pas tant que les Auteurs,
Qui font par leurs divins esprits
Vivre et revivre les Signeurs,
Les pourtrayans en leurs escrits
Des couleurs de mil vrays honneurs,
Sans qu'ilz soient onq decolorez
Ny par le tems, ny par les gens ;
Mais d'un trait vif bien decorez
Pour luire et reluire en tout tems.
Les plus grans peintres et graveurs
Du tems d'Alexandre ont esté,
Et en ont receu grans faveurs :
Un en son art ha exalté ;
Mais en science et plus hauts arts,
Infinis en ha exaltez ;
Si ont après lui les Cesars,
Les Cesars Romeins tant vantez,
Et
ce tien Astre paternel
Un si bon aspect leur donna,
Que son plus grand loz eternel
Plus grand' gloire et lumiere n'a.
Son influence ha inspiré
Ma jeunesse, entre mille, à voir
Ce beau mont où j'ay aspiré,
Où git la Muse et le savoir.
Le premier Cesar acheta
Deus tableaus, et les achetant,
Un chacun d'iceus lui couta
Plus de dix mil escus contant.
Que sont ces tableaus devenus
Qui couterent un si grans pris
Et qui furent si chers tenus ?
Comme leur maistre, ils sont peris.
Mais la seur du Cesar second
Desboursa moins, et si fit plus,
Quand pour dixhuit vers, qui seront
Stables, paya cinq mil escus.
Ces Vers à l'honneur de son fils
Sont encore en vie aujourdhui,
Dont Vergile en eut tels profits
Qu'il en tira par devers lui
Deus cens escus pour chacun vers,
Sans avoir peine aucunement
A troter et courir devers
Le payeur de tel payement.
O Princes, pesez donq aussi,
L'honneur des vers, l'autorité,
En quoy cette Princesse ci
Bruit par sa libéralité.
Elle, oyant les vers reciter
Louant son fils Marcel ja mort,
Se pama, ne pouvant porter
Le regret qui la pique et mord.
Puis, sortant de tel' pamoison,
Les cinq mil escus ordonna
Estre delivrez, pour raison
Des vers que Maron lui donna.
Telle grand' somme el' ne pleignit
Au Poëte bien prononçant,
Et d'un cœur noble la fournit,
Grand loz du vers non perissant !
Aussi ces vers lui ont esté
Un beau tombeau qui dure encor,
Plus luisant, plus ferme arrété,
Qu'un de fin marbre, ou massif d'or.
Le grand Roy disoit estre heureus
Achilles, le fort Grec puissant,
Non pas tant par ce qu'il fut preus,
Et en faits d'armes surpassant,
Comme qu'il eut, pour grand bon heur,
Son Homere poëtizant,
Qui le fit revivre en honneur,
Ses louenges eternizant.
Grans Princes deus grans vertus ont,
Premiere est Magnanimité
Par laquelle grans actes font ;
Puis l'autre est Liberalité,
Mesmemement vers les gens savans :
Car science ha l'autorité
De les faire en mil ans suivans,
Revivre en la postérité.
Vous avez beau faire grans faits,
O Princes Magnanimes-forts,
Ilz seront tous, comme imparfaits,
Ensevelis quand serez morts,
Si le Poëte en ses dous sons
Ne les chante à vos successeurs,
Qui, oyans ses vives chansons,
De vos victoires seront seurs.
Tel heur ne vous pourront donner
Ny vos peintres, ny vos sculpteurs :
En un coin s'en vont confiner
Meints tels artizans inventeurs.
Comme Phebus au beau Croissant
Donne sa splendeur et clarté,
La Muse rend clerparoissant
Le Prince plein d'humanité.
Que ne surhaussez vous, ô Roys,
De la fortune bien aymez,
Ceus qui par leurs doigts et leurs voix
Vous rendroient trop mieus renommez ?
Comment sont en bruit et renom
Priam, Enée - Roys Troyens -,
Le grec Achille, Agamemnon,
Que par Poëtiques moyens ?
Vertu mesme en son ennemi
Ce nonobstant doit ont priser :
Car tout bienfaict se fait ami
D'honneur, qu'il ne faut despriser.
Ce Charles regnant à present
Quatre cens ducats ordonna :
Marot en receut le present
Pour peu de vers qu'il lui donna.
Mais souvent, pour cas qui vaut moins,
L'on donnera un plus grand bien :
Ma Muse n'entend, neantmoins,
Chanter des Princes que tout bien.
Je ne le di tant seulement
Pour la France assez liberale :
Je le dis generalement
Pour toute terre illiberale,
Et trop tardive à faire bien
A ceus qui à son loz ne cessent,
Aus pâles Poëtes, combien
Que dix mil autres s'y engressent.
Poëtes sont tresanciens :
Car les antiques Orateurs,
Philosophes, Historiens,
Ne sont que leurs imitateurs,
Après eus ils ont patronné
Sus le beau Poëtic patron,
Tiré, suivy et façonné
Le principal de leur façon.
Vos Majeurs avoient en honneur
- Je di : de toute antiquité -,
Ceus ausquels Dieu estoit donneur
D'une telle Divinité.
Moindre honneur donques soit donné
A une main, et un pinceau,
Qu'à un chef de laurier orné,
En tout temps verdissant et beau ;
Dans lequel chef, nature et Dieu
Leurs graces et tresors ont mis,
Se consacrans tel divin lieu
Pour eux, et pour leurs vrays amis.
Leurs vrays amis et alliez,
On dit que sont les Princes grans :
Or sus donq, Princes, n'oubliez
Les grans mignons de vos parens,
Lesquels à vostre heur et grandeur
Une autre peuvent ajouter,
Et qui est bien de si grand heur
Que Mort ne la vous peut oter.