Habert François, "[Janot] Je suis tout esbahi, (gentil pasteur Herbat)"

 Transcription: id 48946
Incipit
[Janot] Je suis tout esbahi, (gentil pasteur Herbat)
Titre
Eglogue pastorale sur l’union nuptialle du Roy Philippes et de madame Elisabeth, en vers alexandrins. Bergers : Janot et Herbat
Transcription
Janot : Je suis tout esbahi, (gentil pasteur Herbat) De te voir resjouy, et prendre ton esbat Dessoubs ces verds Ormeaux, ce pendant qu’en l’ombrage Ton troupeau et le mien cherche son pasturage, Et que le Rossignol plaisant et gracieux De son chant, resonner faict ce val spacieux, Je n’ay pas sans raison cest esbahissement De te voir en soulas, et chanter doucement Chansons, qui ne sont pas remplies d’amertume, Veu que par cy devant ce n’estoit ta coustume D’ainsi te resjouyr par poétiques chants, Quand nous estions ensemble en ces antiques champs, Car ta Muse plus tost se tenoit en silence, Ou bien elle chantoit de Mars la violence Par piquante invective, et fort tristes chansons, Dont aucun ne pouvoit ouyr que meschans sons. Herbat : O cher amy Janot, ton dire est veritable, J’ay longuement chanté avec dueil lamentable, En ressemblant, pour vray, au Cicne, en tel remord, Qui chante (comme on dict) estant pres de sa Mort. Mais j’ay occasion de changer ma tristesse En gracieux soulas, et mon dueil en liesse, Car le celeste Pan, Roy et Dieu des Bergers A lié noz Pasteurs avec les estrangers D’une perpetuelle et divine concorde, Qui mect dessoubs les piedz l’ancienne discorde, Dont les plus grands Bergers estoyent envenimez, Et si austerement l’un vers l’autre animez, Qu’au lieu de cultiver les champs de labourage, De prendre fer en main c’estoit tout leur courage ; Au lieu de la houlete, aux Pasteurs usurpée, Pour sang humain espandre, estoit nue l’espée ; Et au lieu de l’Ereau où les taureaux on mect, Sur la teste on portoit l’espouventable Armet ; Au lieu de la musette, aux Bergers acceptable, La trompete faisoit un cry espouventable ; Au lieu de chalemeaux doux et melodieux, Resonnoyent fauconneaux, et canons odieux. Mais Pan, par sa bonté, d’un accord pacifique Ce grand Berger, Henry, tant noble et magnifique A joinct par alliance à ce hault conquereur Le Berger Hespagnol, fils d’un fort Empereur. C’est celle paix (Janot) qui tant me reconforte, Et qui à tous Bergers tant de liesse apporte. Janot : Je ne m’esbahis plus, Herbat, berger gentil, Tant à garder troupeaux qu’en science subtil, De te voir adonné à soulas plantureux Par ceste heureuse paix, qui nous rend bien heureux. J’estoys esmerveillé, ces jours, de la grand feste Qu’on faisoit à Paris en plaisir manifeste, Lorsque le Duc Albain tant honorablement Fut receu des Bergers universellement, Et qu’on luy feit honeur au nom de ce sublime Philippes, Roy Berger tant hault, et magnanime. Herbat : Janot, voyla le poinct, voyla le poinct, helas, Voyla l’occasion qui me mect en soulas, Et puis que tu m’as mis en souvenance telle Du Duc nous apportant alliance immortelle, Enten, je te supply, par bonne affection, Combien ceste alliance ha de perfection : Ce bon Duc que tu dis, au nom du venerable Philippes, est venu en la Ville honorable Du grand Berger Gauloys, pour sur toutes negoces Commencer le lien des amoureuses nopces. La Bergere d’honeur, qui a esté menée Au lien conjugal par le chaste Hymenée, C’est ceste Elisabeth, d’incomparable honeur, Fille du fort Berger des Gaules gouverneur, Vouée à l’Hespagnol, dont en soulas se bagne Universellement, et la France, et l’Hespagne. C’est pourquoy tu as veu tant de luysans harnoys, Tant de pennaches beaux en joustes et tournoys, C’est pourquoy tu as veu tant de braves Bergeres Baler en ce festin, fort souples et legeres. C’est dont tu as ouy les tabourins sonans, Fifres, Cornets, Hauboys et Clairons resonans, Qui n’est que pour monstrer la joye universelle Qui au cueur des humains à present ne se cele. Janot : Je pren plus de plaisir à escouter ton dire, Que d’Apollon la Harpe, ou d’Orphée la lyre. Car ceste belle fleur qu’Elisabeth tu nommes, Est un si grand thresor et gloire entre les hommes, Qu’assez on ne pourroit ses graces de hault pris Estimer, ne les dons que nature a compris En sa beauté naifve, et en sa contenence, Qui demonstre à chacun sa perfaicte excellence. Mais, helas, d’un tel bien qui au peuple adviendra, En grand tristesse et dueil entrer il conviendra, Alors que ceste Nymphe excellente et royalle Fille aisnée au Berger de source lilialle, Delaissera la France où elle fut nourrie, Et où elle a esté tant aymée et cherie. Les Nymphes de la Saine et autres ploreront, Les Dieux et Demidieux contristez en seront, Et les Bergers qui sont experts en Rhétorique Feront piteux regrets par œuvre poëtique, Et toy, gentil Herbat, auras telles douleurs, Qu’en plorant, tu feras un grand Lac de tes pleurs. Herbat : Je te confesse bien, Janot, amy fidele, Que chacun plorera voyant partir la belle, Belle en perfection : mais qui en plorera, Pour le proffit futur il se consolera, Et pour le bien public de si haulte alliance, Qu’on ne pourra jamais effacer d’oubliance, Car plus tost on verra les ondes de la Mer Sallées n’estre point, et jamais n’escumer, Plus tost herbes de Mer aux montagnes croistront, Les vaches et les beufs, sans corne apparoistront, L’Hyver sera plus tost sans gelée et froidure, Le beau Printemps sans fleurs, et l’Esté sans verdure, Sans ombre les Peupliers, sans plume les oyseaux, Et sans aucun poysson, fleuves, lacs et ruisseaux, Sur les arbres plus tost le Corbeau blanchira, Et parmy les estangs le Cicne noircira, Plus tost sera la Mer Oceane tarie, Que le peuple Hespagnol et le François varie D’aymer Elisabeth du tige lilial, Conjoincte au grand Pasteur du sang Imperial. Janot : Gentil Berger, pour vray, ton dire me convie A croire et maintenir heureuse nostre vie, De voir par tel accord tant de peuple en repos. Les Bergers desormais en seront plus dispos, Qui du celeste Pan beniront la clemence. Ores nous cueillerons en paix nostre semence ; De gendarmes mauvais, plus ne serons troublez, Qui nous souloyent ravir et noz vins et noz blez ; Et en tranquillité serons sur la verdure En gardant noz troupeaux, au moins si la paix dure. Herbat : Si la paix dure, helas ? Janot, estimes tu Que ce soit une paix sans force et sans vertu ? C’est une saincte paix que Pan a procurée : Parquoy elle sera d’une longue durée. C’est une paix qui vient du celeste sejour, Pour donner allegence à noz cueurs nuict et jour. Desja l’heureux lien los immortel merite, Qui sainctement conjoinct la belle Marguerite Au Duc Savoysien, dont le renom est tel Qu’en despit de la Mort il doibt estre immortel. Et si ce noble Duc par haulte providence Du celeste Recteur, est rempli de prudence, De force et hault pouvoir, et de maturité (Qui un grand lustre donne à son auctorité), Son Espouse bien née est bien de telle grace Que de sa grand beauté, les beautez elle efface. Janot : Dès long temps j’en suis seur, c’est une perle exquise, Et, plus que les thresors, excellente et requise : Tu as assez chanté, et chantes tous les jours Sa grace, au livre dict : Conjugales amours. Mais retournons au poinct de la Bergere aymable, Que l’Hespagnol berger ha tant pour agreable, Et qui en brief ira en son lict conjugal Pour joindre deux desirs en un desir egal. Herbat : O grand felicité d’alliance amoureuse Qui peut rendre l’Hespagne et France bien heureuse ! Tu sçais Janot, tu sçais la grand speciauté, La beauté de la face, et d’esprit la beauté Qui ceste Elisabeth si richement decore, Qu’elle est de plus hault pris que la vermeille aurore. De Sappho ce n’est rien, ce n’est rien de Dido, Ce n’est rien de Cypris, mere de Cupido, Ce n’est rien de Procris, ce n’est rien d’Atalante, Elisabeth les passe en beauté excellente. Aussi ce grand Berger, qui l’a tant desirée, A toute autre vivante, à droict, l’a preferée, Et la desire encor’, affin de recevoir Le fruict tant savoureux d’amour, qu’il doibt avoir. Doncques approchez vous, amans incomparables, Et qui au monde rond n’avez point voz semblables. Partez, Elisabeth, du regne paternel, Allez voir vostre espoux en soulas eternel, Mais (las) ne partez point jusques à ce que j’aye Chanté vostre grand heur, qui rend la Gaule gaye. Janot : Chante donc, amy cher, je ne m’espargneray A ouyr tes doux sons, et t’accompagneray Par poëtique accord, combien que je soys moindre En sçavoir, pour au tien l’accomparer et joindre, Car, certes, c’est à toy, Herbat, que desormais Du laurier triomphant le chappeau je soubmets. Herbat : Je laisse aux grands venteurs l’Apolline couronne, Et ne veux qu’en orgueil mon front ell’ environne, Il me suffist si j’ay de dire le pouvoir, La grand felicité que nostre œil pourra voir Par l’amoureux lien qui émeut et provoque Deux cueurs tant precieux au desir reciproque De l’amoureux flambeau, qui approcher fera Deux cueurs en une chair. Lors on triomphera Au regne de ce grand Philippes, debonnaire, Et qui use envers tous de largesse ordinaire, Mesmes envers les bons qui suyvent les vertus, Et qui d’iniquité jamais ne sont vestus. Je te laisse penser la grand magnificence Que doibt faire l’Hespagne, en voyant la presence De sa Dame et maistresse, et Royne catholique, Qui ha l’esprit divin, et la face angelique. Je te laisse penser l’heur, le contentement, La joye et le soulas, pour son advenement, Car, pour le tout au long racompter ou escrire, La voix, l’ancre et papier n’y pourroyent pas suffire. Janot : Je le croy fermement, car il fault estimer Qu’on ne pourroit assez vivement exprimer L’accord, qui en soulas les hommes renouvelle, Ne l’honneur que feront à leur Royne nouvelle Tous les peuples subjects à l’Hespagnol pasteur, Ennemi de tout vice, et vray observateur De droict et d’equité, dont il est la lumiere En haulte dignité, et majesté premiere. Herbat : Donc, belle Elisabeth, hors de France sortez, Et au peuple Hespagnol la liesse portez Qu’il espere par vous, et par vostre lignée Quand vous enfanterez, ô Princesse bien née, Pour faire voz ayeux renaistre en si grand heur, Que l’on contemplera par tout vostre grandeur. Et en vostre faveur par le vueil immobile Du Recteur tout puissant, le dict de la Sibille Obtiendra son effaict, car on verra encor En ce monde terrien revenir l’aage d’or, Où chacun fruict croistra sans soing d’agriculture ; Et plus on ne verra crime ne forfaicture, Car des Cieux descendra la saincte vierge Astrée, Deesse de justice, et des dons penetrée De l’esprit supernel, du pere tout puissant Qui a créé le monde et ciel resplendissant ; Ceux qui ont trop vescu en charnelles delices Ores convertiront en bonté leurs malices ; Et pour faire la guerre ainsi comme devant, Aussi on ne verra plus voyle mise au vent Dessus l’onde sallée, ains sans aucun danger Alliance on prendra à tout peuple estranger - Non à ceux toutefoys qui seront infideles, Au Berger catholique, au Treschrestien rebelles. Janot : Amy, par ces secrets que tu m’as revelez Les esprits des humains seront renouvellez En foy, en charité, en divine esperance, Pour suyvre la vertu avec temperance. Ores nous menerons noz vaches et noz beufs (Sans craindre aucun danger) parmy les champs herbeux, Et sans aucun danger repaistront en la plaine Chievres, petits chevreaux, et noz troupeaux à laine, Dont nous aurons par tout abondance de laict, Et vestirons le drap jaune, gris, violet, Rouge, noir et tanné, et de toute autre sorte Que selon son estat chacun berger le porte. Bref, des bergers seront les esbats infinis, Nous irons desnicher des Rossignols les nids, L’aloüete sera par nous mise en la cage, Le Pinson, le Linot, pour chanter leur ramage, Et tandis qu’à noz yeux noz Chievres brousteront, Bergers moindres que toy, tes chants escousteront, Mesmes quand tu voudras par ta muse loyalle Chanter du grand Berger de source lilialle, Dont la force et grandeur, la clemence et les faicts Sont au gré d’un chacun accomplis et perfaicts. Herbat : Janot, je ne pourroys avoir plus de matiere, Ne meilleur argument, que la louange entiere Reciter des vertus du lilial Berger, Qui en ce monde est né pour les siens alleger, Pour élever les bons, punir les detestables, Pour conserver les droicts, et les loix equitables, Et qui en liberté tient les pauvres Pasteurs Qui luy portent honeur, et sont observateurs De ses royaux edicts, qui certes, sont plus justes Que les loix de Nerons, et des Cesars Augustes. C’est ce Berger Henry, duquel l’espouse a pris Un renom immortel sur femenins esprits, C’est ceste grand’ Bergere, excellente, accomplie De mille et mille dons, et de graces remplie, La Royne des Gauloys, Cathérine est son nom, De qui sans fin sera honoré le renom, Mere d’Elisabeth, ô heureuse portée, Par laquelle des Cieux la paix est apportée, Perpetuelle paix, qui joinct si belle fleur A Philippes, berger d’indicible valeur. Janot : Herbat, ton dire est vray, la grand beneficence De ce berger Henry plein de magnificence, Immortelle sera. Son Espouse est le choix Des Dames qui par tout sont conjoinctes aux Roys. Hautaine est sa vertu, haulte son origine, Et de louables meurs son cueur se morigine. Herbat, il me souvient, quand jeune tu estoys, Qu’en beaux vers mesurez ses honeurs tu chantoys, Sa beauté, sa bonté, sa douceur, sa sagesse, Et que tu te sentoys de sa saincte largesse Pour nourrir ton troupeau, pour tes champs cultiver, Et pour supporter mieux la rigueur de l’Hyver, Parquoy dire je puis que c’est une Minerve, A qui los immortel posterité reserve. Herbat : Je n’ay pas tant escript de ses haultes valeurs Qu’il en reste, pour bien paindre de ses couleurs, Sa grand perfection et grace incomparable Qui rend en chacun lieu sa grandeur admirable. Doncques, peuple Hespagnol, qui ta maistresse attends, Pour luy porter honeur, je te supply, entends Le lieu d’où elle sort : n’est ce la source antique Du noble Roy Clovis tant sainct et Heroique ? Certainement ouy, dont certain je me tien Que Clovis a esté le premier Roy Chrestien Des puissans Roys Gauloys, quand par destin celeste (Ainsi que la Cronique assez le manifeste) On vid troys fleurs de lys descendre des haults Cieux, Qui depuis ont esté (en thresor precieux) Les armes de noz Roys exempts de vitupere Ausquelz de pere en fils la grand Gaule obtempere. De ce tige ancien François est descendu, Roy premier de ce nom, en tous arts entendu, Qui, comme il fut l’honeur de bellique armature, Estoit le Mecenas de la litterature, Dont ceste Elisabeth avec ses tiltres vieux, Par luy gloire reçoit dessus tous ses ayeux. Et Henry grand pasteur, fils du Berger François, Fut né divinement pour regir les François. Voyla, peuple Hespagnol, la source plantureuse Qui peut rendre l’Hespagne, et France bien heureuse, Voyla le Tige heureux d’Elisabeth, bien née, Qui sera en brief temps ta Royne couronnée Après qu’elle aura veu celluy qu’elle ayme mieux Que chose, qui offrir se pourroit à ses yeux. C’est ce noble Berger qu’on extolle et qu’on prise, Au cueur duquel sagesse immortelle est comprise, L’heritier de ce grand Charles, qui par la mort (Tant il fut vertueux) jamais ne sera mort, Et comme ses vertus, pleines d’honeur et gloire, Laissent aux successeurs de son nom la memoire. Philippes est bien tel, qu’en honeur éternel Il represente au vif le hault cueur paternel, Il ayme les Bergers qui par noble exercice De la docte Pallas ont louable notice, Ausquelz il est humain, affable, liberal, Comme les bons Bergers l’ont dict en general. Pourtant, amy Janot, mes poëtiques Muses Par tout annonceront les louanges diffuses Du berger Hespagnol, des Flamans le Seigneur, D’Elisabeth aussi, sa compagne d’honeur, Bergere de hault pris, d’origine ancienne, Et qui aux jeunes ans passe l’Athenienne. Janot : Combien qu’égal à toy je ne soys en sçavoir (O bien aymé Pasteur) si feray je devoir De porter, comme toy, honeur et reverence Au berger Hespagnol de sublime apparence, Et à sa bien aymée, Espouse de hault pris, Qui du tige Royal heureusement a pris Noble nativité, et qui va voir les villes D’Hespagne, qui sont tant plaisantes et civiles. Herbat : Allez donc, belle, allez voir la Terre estendue, Où par ce riche Espoux vous estes attendue, Et par tous ses subjects qui se resjouyront, Quand de vostre presence (ô belle) ilz jouyront. Allez, Elisabeth, n’ayez douleur amere S’il vous fault pour un temps abandonner la mere, Vous la verrez souvent, si au souverain Dieu Il plaist de delaisser à noz prieres lieu. Janot : Je ne me puis lasser d’ouyr la melodie De tes chants mesurez, et fault que je te die (O éloquent Berger) qu’un singulier plaisir J’ay receu, de t’ouyr prononcer à loysir L’honeur des deux Bergers, qui n’ont pareils au monde, Aussi d’Elisabeth la beauté pure et munde, De qui les yeux rians tant gracieux et beaux Semblent parmy le Ciel deux reluisans flambeaux, Mais, Herbat, amy cher, voyci la nuict obscure, Qui aux Bergers des champs le doux sommeil procure, Retirons nous soudain, il est heure et saison De nous en retourner chacun en sa maison. Fin.
Copiste
Claire Sicard
 
Linked from
Referenced by
 
more...