Habert François, "Par ces propos fondez en raisons telles"

 Transcription: id 48698
Incipit
Par ces propos fondez en raisons telles
Titre
[La Description de l’utilité des Lettres] Le II. Chapitre
Transcription
Par ces propos fondez en raisons telles, Aux Lettres fault louanges immortelles Attribuer, et les honorer, pource Que tous arts sont veine et source. Or il convient exposer à voz yeux En quoy estoient d’escrire curieux Les Anciens, et de quel instrument Ils escrivoient leurs Lettres proprement ; Puis vous orrez comme l’Antiquité Du Parchemin trouva commodité Et du papier ; et qui l’Imprimerie A inventé ; et comme Librairie A eu son cours, et quels conservateurs De Librarie ont esté amateurs. Il est certain que ceux qui escrivoyent Au temps passé, aucun papier n’avoyent : Fueilles de parme ils avoyent pour escrire, Dont aujourd’huy encor chascun vient dire "Fueillets" de livre ; après ils se servirent D’Escorce d’arbre, et dessus escrivirent, Et mesmement dessus la tendre escorce Qu’ils separoient des arbres sans grand force, Comme Bouleau, le Platan, Fresne, et l’Orme, Où proprement leurs Lettres prenoient forme, Car ils usoyent de l’Escorce plus tendre Qu’entre la noire escorce ils pouvoient prendre, Et en faisoyent livres subtilement Conjoincts par eux ingénieusement. Et pour autant que le Latin language L’Escorce ainsi appliquée en usage Nommoit Liber, en durable renom Les Livres ont de là tiré leur nom, Bien qu’il soit clair que les Livres perfaicts De telle Escorce aujourd’huy ne sont faicts. Puis on trouva inventions utiles D’escrire en plomb, sur lames fort subtiles, Puis sur drapeaux de lins licez aussi, L’on escrivoit en curieux souci ; Et nous convient entendre qu'en cest age Ils n'appliquoyent les plumes en usage, Mais escrivoyent de Cannes seulement, Comme aucuns font encor présentement ; Puis on tira de Carte une autre sorte, Des arbrisseaux que maint Marest apporte Auprès du Nil ; nommez "papiers" estoient Ces arbrisseaux qui l’Escorce apportoient, Dont on faisoit une Carte bien fine, Collée avec la colle de farine. Sur ceste Carte alors on escrivoit, Et pourautant que l’Arbrisseau avoit Nom de "Papier", nommé "Papier" avons Ce papier là, sur quoy nous escrivons, Combien qu’il soit faict de petis drapeaux De toyle usée, et non point d’arbrisseaux. Par Marc Varron est faicte mention Que ceste Carte eut son invention Premierement du regne d’Alexandre, Quand il voulut de bastir entreprendre Alexandrie ; autres ont jugement Que tel papier estoit certainement Touvé du temps du Roy Nume et en main Laissé par luy de son peuple Romain. Or il est clair que Nume (et je le croy) Estoit devant Alexandre le Roy. D’autres plusieurs l’opinion s’escarte De ceste cy, disans que ceste Carte Premierement son origine tire De "Carta", ville assise pres de Tyre, Et que Dido print de ce nom l’usage Pour en nommer sa ville de Cartage. Encor tient on pour choses asseurées Qu’on escrivoit en tablettes cirées Au Temps passé, et que les mains subtiles Avec Poynsons aigus, qu’on nommoit "stiles", Lors escrivoient ; l’usage encor reçoit Ce mot de "stile", alors qu’on apperçoit Bon Escrivain, de luy on viendra dire : "Cest homme là ha bon stile d’escrire". Lon temps après cest age, avant qu’avoir Ce Papier là qu’aujourd’huy on peut voir, De Parchemin l’on usoit, et dict on Du Parchemin faict de peaux de Mouton Ceux de Pergame estre les inventeurs, Parquoy à ceux nous en sommes debteurs ; Et pour autant qu’en Latin il s’appelle Pergamenum, par origine telle Nous l’appellons "Parchemin" en François. Le Jugement est plus seur toutesfoys De Josephus, disant que les Hébrieux Du Parchemin sont inventeurs plus vieux, Et que plusieurs Livres, escrits estoyent Dessus les peaux, que lors ils inventoyent. Ainsi appert que l’Escriture faicte En Parchemin, estoit bien plus perfaicte, Et plus facile, et bien plus asseurée, Plus excellente, et de longue durée Que celle là de plus petite force Que l’on faisoit en fueille ou en Escorce, Bien que plus tost elle fust par chemin Pour en user, que n’estoit Parchemin. Voyla pourquoy du Parchemin l’usage Ne s’est jamais perdu en aucun age, Et ne se peut encor perdre jamais ; Ne le Papier que faire desormais Un chascun sçait, par moyen si facile, Que de le perdre il est trop difficile, Car nous l’avons si copieusement, Qu’il peut mouvoir l’homme facilement A concevoir les Lettres et les arts Plus florissans que du Temps des Césars. Mais bien que soit l’utilité fort grande De tout cela, bien plus se recommande L’art d’imprimer, comme plus délectable Invention, et la plus proffitable Que nous puissions avoir sur Terre ronde Que de tous arts perfaictement abonde. Car par cest art s’imprime promptement Ce qu’à escrire on fut si longuement, En long sejour Escritures limées, Sont en lumiere, et subit imprimées, Utilité, qui fut long temps absconse. Un Alemant qui fut né à Magonce En a esté le premier inventeur, Si nous croyons à Polydore autheur. Volateran à ce propos s’allie, Disant cest art porté en Italie Par deux Germains, qu’à Romme en premier lieu Fut imprimé de la Cité de Dieu L’œuvre tressainct, et de Lactance l’œuvre Qui des Gentils l’ignorance descueuvre. Depuis ce Temps, maints hommes vigilans Ont en cest art esté fort excellans, Non seulement en Alemagne et France, Mais Italie, avec grand apparence De leur Sçavoir, comme le sçavant Alde, Frobene aussi, puis Colinet, et Bade, Griphe Alemant, docte entre un million Exerçant l’art d’imprimer à Lion - Et autres maints qui dans Paris florissent A celle fin que Livres ne périssent Par tant de bons Imprimeurs, qui sont tels Que nous voyons leurs honneurs immortels. Par leur travail, tant de Livres perdus En leur splendeur premiere sont rendus, Au grand proffit et vray soulas des hommes Tant excellans, au Regne où nous sommes. Car, paravant la noble Impression, Livres estoient pleins de corruption, Remplis d’erreurs, de fautes, et rature, Qui procédoyent d’imperfaicte Escriture, Et si corrects Livres estoient trouvez Et par l’advis d’homme docte approuvez, On ne pouvoit universellement Les recouvrer, comme facilement Ores on peut recouvrer corrects livres, Dont noz Espris d’ennuy sont à delivres. Et toutefoys nous debvons grandement Les anciens louer, qui noblement Livres gardoyent, sans aucun bénéfice D’Impression, dont ils n’avoyent notice. Croire il convient que Livres et Escrits Qui ont esté premierement escrits Estoient en main des Hébrieux, car ainsi Qu’ils avoyent eu premiers la Lettre, aussi Un fort grand soing et désir ils avoyent De conserver tout ce qu’ils escrivoyent. Or quand Moyse eut escrit dans les tables Les saincts édicts de la loy proffitables, Croire il convient que les Hébrieux après, Livres avoyent, et Librarie exprès Pour conserver perpétuellement Ce qui estoit dans le vieil Testament : C’est asçavoir, les Livres des Prophetes Qui aujourd’huy à tous sont manifestes. L’opinion de tous les Grecs explique Que cil qui feit Librarie publique Premierement, Phisistrate est nommé, Le grand Tyrant d’Athenes renommé, Et que depuis que celluy l’inventa, L’Athénien peuple fort l’augmenta. Mais bien plus fort a esté renommée, Celle qui feit le grand Roy Ptolomée : De si hault pris sa librarie estoit, Que, sur toute autre, honeur elle emportoit, Car en icelle estoit compris (sans doubte) Vieil Testament, et l’Escriture toute Des saincts Edicts ; maint autre livre aussi L’a transporté, par curieux souci Des Nations de toutes pars du Monde, Et ceux estoyent de science profonde Qui en leur garde et leur gouvernement La Librarie avoyent totalement. Les uns gardoyent les livres Poëtiques, Autres gardoyent les œuvres hystoriques, Semblablement en toute autre Science La Garde estoit selon l’experience. La Librarie après tomba aux mains (Fort noblement) des anciens Romains. De Cicéron l’eloquence admirable A obtenu un renom perdurable. Hortense aussi, orateur renommé, Par le Senat Romain tant estimé, A jusq’ici son renom espandu, Mais le fruict est de ses escrits perdu, Ce qui nous porte aujourd’huy grand dommage : C’est pour autant que n’estoit en usage L’art d’imprimer, art noble et fort exquis, Dont nous avons tant de proffit acquis. Jules Cesar, fort magnifiquement, La Librarie enrichit tellement Que de son los vit encor la mémoire ; Mais à Auguste est deue plus grand gloire, Qui feit chercher Livres de toutes pars Qui en Egypte adonc estoient espars. Affin qu’à Romme ils fussent transportez, Par luy estoyent les doctes supportez, En leur usant de sa magnificence. A Romme aussi fut de grand excellence Ce Mecénas, illustre personnage Qu’Horace dict né de royal lignage. En la science il trouvoit grand saveur, Et aux sçavans portoit telle faveur Qu’il les mettoit en grand tranquilité Usant vers eux de Libéralité, Dont aujourd’huy un bienfacteur on nomme "Un Mécenas", comme celluy de Romme. Fin du II. Chapitre
Copiste
Claire Sicard
 
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