L’Honnesteté qui doibt estre en la bouche,
Les motz dorez que par escript on couche,
Donnent louenge et honneur, non en vain,
Au bon diseur et au juste escripvain.
Tout au contraire une parolle dicte
Laide et vilaine, ou en papier escripte,
Rend son autheur de macule taché.
Parquoy aulcuns ont ilz doncques tasché,
Se rendre obscurs, perdans leur renommée,
Tant qu’en tous lieux leur personne est blasmée ?
La volupté et sensualité
Leur ont ainsi leurs cueurs debilité,
Tant et si fort que le mal par dehors,
Monstre l’effect de ce qu’est dans le corps,
Selon la chose en quoy le cueur habonde,
La bouche parle, ou soit necte ou immunde.
O qu’on dict bien, proverbes evidentz !
"Du sac ne sort que ce qui est dedans".
On le congnoist je ne sçay quelz Rithmeurs,
Tous corrumpuz de parolle et de meurs,
Ne font escriptz que de choses trop vaines,
En corrumpant toutes vertus humaines :
L’ung s’entremect de descripre ung Tetin,
Et
l’aultre ung ventre aussi blanc que satin
L’ung painct les yeulx,
l’aultre les cheveulx blondz,
L’aultre le nez,
l’aultre les genoulx rondz,
Mais plus cela tend à concupiscence
Qu’à demonstrer de beaulté l’excellence.
Las ! n’y a il que ceulx là que j’ay dict ?
Certes si a, et si aulcun mesdict
De leurs escriptz, c’est sans faire nuysance
A leur parler et parfaicte elegance,
Mais du subject c’est le plus ord et salle
Dont fut parlé jamais en chambre ou Salle.
Les noms sont beaulx qu’appropria Nature,
Aux membres bas de toute creature,
Mais blasonner ces membres veneriques,
Les exaltant ainsi que deiffiques,
C’est une erreur et une ydolatrie,
De quoy la terre à dieu vengeance crie.
O quelz menteurs ! O quels beaulx blasonneurs,
Qui font marché si grand de leurs honneurs !
Ma plume auroit grande honte d’escripre,
Telz vilains mots, et ma bouche à le dire,
D’eulx mesmes sont en faictz et dictz honteux,
Et Cicero dict, sans estre doubteux,
Que tout ainsi que Nature les cache,
De les nommer aussi elle se fache.
Pensez vous poinct, qui faictes ces Blasons,
Combien de gentz par voz sotes raisons
Vous abusez ? Certes la chose est seure,
Que ces sotz motz leur engendre luxure ;
Les gens de bien en sont scandalisez ;
Et vous, Seigneurs qui ces Blasons lisez,
Prenez la lettre et en laissez l’esprit,
Et plus ne soit tel cas mis par escript,
Car c’est l’esprit Cupido et Venus.
Et vous aussy, qui pour sçavantz tenuz
Estes des sotz : estes vous dictz Poetes ?
Certes nenny, mais vous estes chouetes
Non ressemblans aux tresbeaulx et blancz Cignes,
Vous n’en avez les marques ne les signes :
Les Cignes blancz sont les oiseaulx sans vice,
Qu’au dieu Phœbus on donne en sacrifice,
Et qui sont mis pour armes pardurables
Aux escussons des poetes affables
Pour denoter que chasteté bien franche
Saincte vertu paincte de couleur blanche
Se doibt loger en cueur et en pensée,
Des escripvains, et non estre offensée.
Ceulx là ne sont Cignes, mais noirs Corbeaulx
Qui font escriptz indignes d’estre beaulx,
De telz oyseaulx la plume trop s’abaisse
Et au voller les haultes choses laisse,
En s’amusant aux basses corruptibles.
Delaissez donc telz escriptz trop horribles,
Et ensuyvez icelluy qui blasonne,
L’effect de mort qui repos à tous donne,
Car qui de mort la souvenance aura,
Aultres blasons jamais il ne fera.