Peletier du Mans Jacques, "Si la faveur que porte ta nature"

 Transcription: id 47810
Incipit
Si la faveur que porte ta nature
Titre
Au Treschrestien Roy François premier de ce nom
Transcription
Si la faveur que porte ta nature Aux gens lettrez, et leur literature N’estoit assez notoire envers chacun, Roy qui n’as roy audessus de toy qu’un, Je ne pourroye à peine m’exenter L’avoir mespris, en venant presenter A ta hauteur mes Poeticques carmes, En ce temps cy que Mars par ses allarmes Vient faire guerre aux gracieuses Muses : Et de despit qu’à elles tu t’amuses, A tout effort veut tenir en souffrance Et en desroy ta tresloyalle France, Et toy qui es des lettres le vray pere : Et par cela il s’attend et espere Que les lettrez n’ayans plus de secours, Aussi n’auront les lettres plus de cours. Mais c’est à luy trop avant entrepris, Vouloir gaigner par dessus toy le prix, Sus toy qui es du plus haut Ciel parti Pour soutenir des lettres le parti, Et que les Dieux par accord resolu En ces bas lieux establir ont voulu Le gouverneur et chef de cest affaire. Dieu de fureur, doncques que veux tu faire ? Veux tu tenir ton courage odieux Seul alencontre, et malgré tous les Dieux ? Veux tu deffaire une puissance telle ? Veux tu destruire une chose immortelle ? Car tu saiz bien que du Ciel supernel Il ne vient rien qui ne soit eternel : Avec cela les Muses sont celestes : C’est doncq’ en vain qu’ainsi tu les molestes. Il est bien vray que crainte tu leur donnes, Car est il rien, o Mars, que tu n’estonnes ? Mais à la fin, quoy que les armes portes, Elles seront contre toy les plus fortes, Non au moyen de hache ny armet, Car leur dousseur cela ne leur permet : Mais comme un feu qu’un temps le tison couvre Plus grand’ clairté par le tison recouvre, Ainsi sera ta force consumee, Et leur vigueur de ton feu allumee : Dont plus sera leur honneur approuvé, Apres avoir un ennemy trouvé, Qui les voulant desconfire et abbatre, Soit mis à bas par elles sans combattre : Ou s’elles sont par tes fieres atteintes De se defendre à port d’armes contreintes, Leur Roy sera pour elles plus vaillant Que ne seras contre elles bataillant : Et tant plus forte il verra la rencontre, Plus sera prompt de tenir alencontre : Lors tu verras sa force suffisante Pour soustenir ta malice nuisante, Pour repousser tes furieux assauz, Et pour donter tes soudars et vassauz, Et quand et quand nonobstant ta rigueur, Pour maintenir les Muses en vigueur, Et en honneur élever leurs suppostz. O Roy François, je romps à Mars propos, Ma Muse s’est à ce destour induitte, Transport d’esprit jusqu’icy l’a conduitte, Et en transport ta grandeur a louee, En esperant de toy estre avouee, Et mesmement qu’avecques cest aveu Exausseras son favorable veu : Et se promet par un heureux presage Ceste faveur qu’on lit en ton visage : Dont elle ayant un coup l’esprouve faitte De ses labeurs se tiendra satisfaitte. Et parainsi, affin qu’elle se sente De ce grand heur, à toy elle presente Un sien escript qui d’Homere est issu, Et dont le mot, sans plus, ell’a tissu, Ainsi que sont Traducteurs coustumiers : Sont, en effet, les deux livres premiers De l’Odyssee en maternel langage, Qu’elle te prie accepter pour le gage Du demeurant, que faire el’a desir S’elle congnoit que tu pregnes plaisir A voir sa veine et son style escouter. Tu as voulu pour Homere gouster, Faire en François l'Iliade traduire, Dedens laquelle un Achille on voit luire De hardiesse et d’armes le vray trait : En l'Odyssee un Ulysse est protrait De sapience et ruse l’exemplaire : Achille est tel que rien ne luy peut plaire S’il ne l’obtient par armes et puissance, A toutes loix il nie obeissance, Il est si fort, si violent, et chaud, Que de conseil ny de temps ne luy chaut : Ulysse aussi comme luy entreprend, Mais avec soy lieu, temps et conseil prend : Et s’il ne peut gaigner le prix en guerre, Il sait tresbien par ruse le conquerre : Il est pourveu de toute invention Pour parvenir à son intention : Il sait cacher au dedens son secret, Et l’autre non, si ce n’est à regret : Car à tous coups son courroux et son ire Dedens sa face ardente se peut lire, Et fors que soy tous aversaires donte, Cestui soymesme et tous autres surmonte : Brief, tous les deux à leurs moyens parvienent, Et pour un but deux chemins divers tienent. Mais si on peut par bon moyen aucun Faire des deux tant que ce ne soit qu’un, Et si on peut ensemble bien lier Un homme sage et un preux Chevalier : (Car bien qu’en toy se trouvent tous les deux, Les autres ont à grand’ peine l’un d’eux) Lors de combien ceste puissance unie Pourra l'on voir plus forte et mieux munie, Si qu’elle soit de toute autre invincible ? Certainement cela est bien possible : Car si on voit en deux livres traduiz Fidelement tous les deux introduiz, Les Chevaliers nobles de ton Royaume Qui sont appris à l’espee et au heaume, Quand par escrit les deux contempleront, Facilement les deux ressembleront, Tant qu’on verra en un seul personnage Un preux Achille et un Ulysse sage : Pourveu qu’un peu d’Ulysse la froideur Veuille d’Achille amoderer l’ardeur. Le grand Monarque Alexandre tenoit Tousjours Homere, et par cueur l’apprenoit : Qui sus les vers de ce Poete enquis Lequel de tous luy sembloit plus exquis, Vint alleguer un vers qui porte en somme, Sage en ses faitz, au combat hardi homme. Bien avoit il le jugement certain, En appouvant ce vers digne et hautain, Qui tient en brief la sustance et matiere De l'Odyssee et l’Iliade entiere. Doncq’ pour le tout à meilleur effet rendre, Cestui ouvrage ay voulu entreprendre : Non qu’il n’y ait en France des espriz Par lesquelz soient telz œuvres mieux escriz : Mais tout le but, tout le point où je tens, C’est de trouver le moyen et le temps De mettre avant par vouloir serviable Quelque œuvre mien qui te soit aggreable : Car quand je voy tant de gens qui escrivent, Et qui vers toy de toutes pars arrivent, Il m’est avis que si leurs rengs ne tien, Digne ne suis de m’avouer pour tien : Et m’est avis, si je m’adresse à toy, Qu’ainsi comme eux tien dire je me doy. Te plaise doncq’ doussement recevoir Ce que je t’offre, en faisant mon devoir Et mon effort, que l'on voye dressee Une Iliade avec une Odyssee. J’ay voulu les Epithetes mettre, En ne voulant d’Homere rien omettre : Et m’a semblé sur ce, qu’en les ostant Hors du François, ce seroit tout autant Que s’on ostoit d’iceluy mesme livre Habitz, bancquetz, et manieres de vivre, Qui japieça sont d’usage estrangees, Et en façons bien diverses changees : Mais il convient garder la majesté, Et le naif de l’ancienneté, Pareillement exprimer les vertuz Des adjectifz dont les motz sont vestuz, Et bien garder en son entier l’obget De son Autheur, auquel on est suget. Icy voit on la merveilleuse suite Du grand Homere en tresbon ordre instruitte : Car il premet un modeste proesme, Et par degrez il hausse son Poesme : Il met en jeu un jeune adolescent, Lequel entant qu’à tel age est decent, Et à un filz issu de noble race, Il fait courtois, sage, et de bonne grace : Et qui s’en va par l’instinct de Pallas Chercher Nestor le sage, et Menelas. Consequemment son haut savoir déploye. Et à descrire un Ulysse il l’employe. Lors d’un grand style il descrit ses erreurs, Et de la mer les gouffres et horreurs, Scylle, Charybde, et les autres perilz, Par lesquelz sont ses compagnons periz, Les uns par eau, les autres par les mains Du Lestrygon, et Cyclop inhumains : Puis il descrit de Circé les venins, Et d’elle après les traittemens benins : Après, Ulysse aux Enfers est allé, Où aux Espriz et ames a parlé : Finablement en sa terre venu, De ses amis a esté mécongnu. Et a fallu par combat proceder Ainçois qu’ait peu sa maison posseder : Puis ayant fait des ennemis veng’ance, De tous ses maux il a eu alleg’ance. Voyla en brief d’Ulysse le discours, Voyla comment par un successif cours Le grand Homere en tel ordre tout rend, Que d’un ruisseau fait naistre un grand torrent : Ma Muse aussi qui dresse ses apprestz Pour exprimer Homere de bien près, Espere bien par succession croistre, Si tu luy fais ta faveur apparoistre. Moins et meilleur.
Copiste
Claire Sicard
 
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