Toutain Charles, "Je suis bien adverti, si je suis ton ami"

 Transcription: id 47846
Incipit
Je suis bien adverti, si je suis ton ami
Titre
A Jaques Poly. Chant XI
Transcription
Je suis bien adverti, si je suis ton ami,
De te garder en mes vers quelque place,
Si je ne veus te môntrer à demi
D’un double courtisan la tromperesse face.
Non, non, mon Poli, non il ne me suffit pas
Te contenter des bas vers de ma Muse :
Mais je ne peus qu’êcrire par compas
Sa fureur inspirée, où par-fois je m’amuse.
Fusse un Dieu qui me dit que je feisse des vers,
Et qu’une ardeur n’êchauffât ma pensée,
En vain seroit de cent travaus divers
Plombés sans son vouloir, ma nature forcée.
Puis-donc que m’a le ciel à matin éventé
De la douceur d’une triste influance,
Il faut vraiment que tu sois contenté
Du neud qui parfera nôtre aimable alliance.
Cà, Lire, êgarons-nous aus flancs de ces coutaus,
Jettons en l’air nos celestes manies,
Hors, hors la ville, hors les hommes rustaus,
Et les vineus crimens des autres compaignies.
Quand mes meilleurs amis voir annuit me viendroint
D’un cœur plus gai, et d’un plus gai visage,
Tout ce jourdhui changer ils ne pourroint
De mon esprit songëard le solitaire usage.
O sainte Solitude ! ô de tous bons espris
Et le sejour, et l’aimable patrie !
Triste gaité dont nous sommes êpris
Quand au ciel hors de nous se monte la furie !
Tu es le seul desir de mon cœur, qui jamais
Ne vit oisif en loisir solitaire,
De cête troppe, en celle tu me mets
Des Ninfes et des Dieus fidelle secretaire.
Tu es et le second, et le final plaisir
Des deus objects des ïeus et de ma vie :
Je suis chés toi, si je n’ai le loisir
De contempler des ïeus les graces de m’amie.
Tu es toutes les fois compaigne à mes discours,
Soit que je charche une prime Nature
Dans tout le ciel, et quel est tout le cours
De la terre plus basse, et de sa nourriture.
Soit que l’amour me chasse ores loin, ores prés
Nourri du faus d’une povre espérance,
Tu vois, tu ois, mes larmes, mes regrés,
Et de mes tristes vers la triste doleance.
Où doit-on, mon Poli, les honneurs commencer
De cête heureuse et sainte Solitude ?
Eût-on jamais veu sans elle avancer
De tant de bons espris la curieuse êtude ?
E jamais eût-on veu ta gaité coutumiere
Sus les êcris des sçavans ablêmir ?
T’eût-on jamais sans elle, veu gémir
Les tant doctes discours de ton amour premiere ?
Voirroint donc quelquefois le poste volontaire
De leurs honneurs parmi l’air d’Avignon
Quelques beautés par toi belles, sinon
Que tu fus à-part-toi comme moi solitaire ?
Elle feît aveugler celui-là qui des ïeus
De la pensée attenta les êtoilles,
Et endurcit le poulmon curieus
D’un qui tira du ciel les flames immortelles.
Line, Orphée, Amphion, et la divine vois
Des prêtres saints, et clameurs Sybilines,
Aimoint toûjours aus solitaires bois
Chanter, et remâcher leurs rêponses cielines.
Homére et le troppeau qui l’admire et le suit,
S’ils sont frapés des Muses plus discrettes,
(Qui font que l’ame hors des terres s’ensuit
Pour sonder le divin des déités secrettes)
Jamais l’ambition des populaires lois
Ne les surprend, ni d’une Republique
Les grans êtats, ni leur vendible vois
Des discors des humains ne fait jamais trafique.
Mais loin de tels debats bien autre déité
Ravit le cours de leur gentille vie,
L’homme qui est en la sorte agité,
Plus bas qu’aus biens du ciel, ne porte point d’envie.
Quand auroit-on fini qui voudroit inventer
Tous tes honneurs, fureur Saturnienne ?
Plus-tôt cent fois j’entreprendroi conter
Le gravier êpoissi dans l’eau Pactolienne.
Brévement tous les arts, tous les doctes êcris,
Toute science est par toi inventée :
Pourroit au corps par les sujets espris
Estre une invention doctement excitée ?
Je te promets, Déesse, incontinent aprés
Que par-delà je me voirrai paisible,
Et que j’aurai saluë les forêts,
Et les chams Hommerains d’un salut entendible,
Qu’au lieu plus dévoiê, où les hêtres êpois
Font assoirir midi sous leur ombrage,
Apres avoir tournoié par trois fois,
Et trois fois limité l’endroit d’un vert fueillage.
Sus un herbeus autel un chevreau tombera
Douce Hêcatombe à ta sainteté morne,
Au front duquel trois fois se replira
L’arbre à Pan consacré, Pan connu dessus Orne.
Copiste
Claire Sicard
 
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