Ces jours passés,
Dolet, qui, par grand cure,
L’immortel bruict de sa Langue procure :
Pour au Françoys, Françoys habituer,
Comme pour lire, et pour bien punctuer,
Et purement aultre Langue traduire :
Petit Livret t’a voulu introduire,
Plein de proffit, O noble esprit Françoys,
Affin que tien (non plus à aultruy) sois.
En lisant donc iceluy tant bon Livre,
Estre te fault d’affection delibvre,
Premierement qu’en puisses rien juger.
Puis, si tu veulx de visiteur user,
Changer, oster, racoustrer et reffaire,
Pense, davant que jugement y faire,
Si tu seras suffisant repreneur,
Que ne sois dict un fol entrepreneur.
Pense qui est l’ouvrier de cest Ouvraige,
Et que par Art, Doctrine, et long usaige,
Mieulx qu’aultre, peut juger en Verité,
Et d’Escripvant gaigner auctorité.
Pense oultre plus, du Livre la substance,
Et le proffit que son Auteur t’advance,
En y penseant, en gré tu le prendras,
Et le prenant, plus docte deviendras.
Car il te sert de perfaict exemplaire,
Non seulement en ta Langue vulgaire,
Pour bien parler ou escrire,(combien
Que cela seul, te soit nompareil bien)
Mais avec ce, y trouveras doctrine,
Pour plus à plain entendre la Latine.
Que te sert il Langue estrange tourner,
Si la tournant, tu ne la sçays orner ?
Puis que te vault une telle ornature,
Si ne la sçays exprimer d’escripture ?
Pourras tu bien escripre dignement,
Sans que tu ayes sçavoir premierement ?
Sans que tu ayes de l’art la cognoissance,
Et, tant dehors que dedans, jouyssance ?
Car c’est bien peu en l’Esprit imprimer,
Si tu ne sçays par escript l’exprimer.
Quelcun pourra Paintre de nom se faindre,
Mais s’il ne peut aulcune imaige paindre,
Ou la paignant, s’il n’accommode point,
Ainsy qu’il fault, les couleurs à leur poinct :
Le debvons nous painctre penser ou dire ?
Rien n’est aussi, en quelque Langue escrire,
Sans y avoir des mots varieté,
Et en user en leur propriété.
Il fault avoir avecques cest usaige,
Bon jugement, et doulceur de langaige,
Y adjouxtant (pour la perfection)
Ordre d’accents, et punctuation.
Cecy n’est rien, ainsy comme nous semble
Mais le tout veu, et amassé ensemble
Est à la fin, trouvé de si hault faict,
Que l’on n’y veoit aulcun estre perfaict,
Et bien souvent, ceulx que plus on estime,
D’avoir l’escript et la Langue sublime,
Et emporter par dessus tous, le pris
En ce cas là, les premiers sont surpris.
Parquoy, Françoys, si dans ton Cueur tu aymes
Ta nation, ton honneur, et toy mesmes,
Demonstre toy du Bien recognoissant,
Qui est moyen que ton bruit va croissant,
Et n’use aussi d’aulcune ingratitude,
Envers celuy, lequel met son estude,
Son bien, son Corps, son labeur, et Esprit,
A te remettre au dessus, par escript.
Il t’a remis Eloquence en lumiere,
Il t’a monstré tre[s]facille manière,
Comment pourras getter ton fondement
Sur le latin, puis bastir bellement :
Donnant à ce, la matiere propice,
Pour eslever en l’Air ton edifice,
Et (non content) affin que nous ne fussions
Gent ridicule aux aultres nations,
Qui bien souvent nous ont fait ce reproche,
Que delaissons ce qui nous est plus proche,
Et que de nous voulons nous estranger :
Non content (dy je) il a prins ceste peine,
De nous monstrer, nostre Langue estre pleine,
De graves mots, termes, et dictions,
Propres en tout à ses affections.
Et qu’elle n’est, plus qu’une aultre, affamée,
Mais tresantique, et noblement famée,
En son endroit ayant son regne et cours,
Sans qu’elle prenne aux estranges recours.
Ce labeur est à nostre Langue lustre,
Pour l’advancer, et rendre tresillustre,
Pour l’advancer, et poulser en avant,
En luy gardant le los, qu’avoit davant.
Ne veulx tu donq’, o François, y entendre ?
Ne veulx tu donc virilement contendre,
Contre quelcuns Barbares estrangiers,
Qui les Françoys disent estre legiers ?
Et avoir oultre, avec la legierté,
Un babil, plain de trop grande fierté.
D’où prennent ils d’ainsi parler audace ?
C’est seulement, de la maulvaise grace
Que nous avons, des nostres despriser,
Et (sans propos) les aultres tant priser.
Qu’a l’Italie, ou toute l’Allemaigne,
La Grece, Escoce, Angleterre, ou Hespaigne,
Plus que la France ? est ce point de tous biens ?
Est ce, qu’ilz ont aux Arts plus de moyens ?
Ou leurs Esprits plus aiguz que les nostres ?
Ou bien qu’ilz sont plus sçavants que nous aultres ?
Tant s’en fauldra que leur vueillons cedder,
Que nous dirons plus tost, les excedder.
Un seul cas ont (et celà nous fait honte)
C’est que des leurs ilz tiennent un grand compte,
Et par Amour sont ensemble conjoincts,
Mais nous Françoys (au contraire) disjoincts,
Car nous avons à escrire invectives
Pour nous picquer, nos plumes tant hastives.
Soubdain prenons l’un à l’aultre amytié.
Soubdain aussi faisons inimitié.
Soubdain disons de nostre Amy louenge,
Et puis soubdain ce propos là nous change.
Et (qui pis est) quant aulcun entre nous
En quelque chose est excellent sur tous,
Ou nous debvrions en consent unanime,
Le favorir, et tenir en estime :
Si vers le Prince aulcun credit avons,
Le reculons le plus que nous pouvons :
Ou nous taschons, par trop sotte escripture
Faire son Nom, et sa louenge obscure,
Ce que nous sert de bien peu, car souvent,
Tous nos efforts ne deviennent que Vent.
Qu'estimés vous qu’en jugent les externes ?
Je m’en rapporte aux Œuvres des modernes,
Mais ilz n’ont peu trouver aultre argument,
Sinon legiers nous dire seulement.
Velà, Françoys, Françoys, velà l’injure
Que l’on nous fait. Fault il que la Nature
D’une tant belle, et noble Nation,
Soit corrumpue en altercation ?
Et qu’elle soit en icelle maniere,
(A vostre grand opprobre) la derniere ?
Esveillez vous, regardez vostre honneur,
Gentils Françoys, prenez vostre franc Cueur,
Ne permettez que la tresnoble France,
Par vostre tort, soit blasmée à oultrance,
Mais faictes tant, que si aulcun mesdit
D’elle, de bouche, ou d’escript, qu’il soit dit,
Que ce n’est pas pour sa maulvaise vie,
Mais seulement procceder d’une Envie.