J’escri en langue maternelle,
Et tasche à la mettre en valeur :
Affin de la rendre eternelle,
Comme les vieux ont fait la leur :
Et soutien que c’est grand malheur
Que son propre bien mespriser
Pour l’autruy tant favoriser.
Si les Grecz sont si fort fameux,
Si les Latins sont aussi telz,
Pourquoy ne faisons nous comme eux,
Pour estre comme eux immortelz ?
Toy qui si fort exercé t’es,
Et qui en Latin escriz tant,
Qu’es tu sinon qu’un imitant ?
Croiz tu que ton Poeme approche
De ce que Virgile escrivoit ?
Certes non pas (tout sans reproche)
Du moindre qui du temps vivoit.
Mais le François est seul qui voit
Ce que j’escri : et si demeure
En la France, or j’ay peur qu’il meure.
Je respons, quoy que tu escrives
Pour l’envoyer en lointains lieux,
Sans ce que les tiens tu en prives,
On pense tousjours que des vieux
Le style vaut encores mieux :
Puis nostre langue n’est si lourde,
Que bien hault elle ne se sourde.
Long temps y a qu’elle est congnue
En Italie et en Espagne,
Et est desja la bien venue
En Angleterre et Allemaigne :
Puis si en l’honneur on se baigne,
Mieux vault estre icy des meilleurs,
Que des mediocres ailleurs.
Or pource qu’es Latins et Grecz
Les ars sont reduiz et compris,
Avec les Naturelz segretz,
C’est bien raison qu’ils soient appris :
Mais comme d’un riche pourpris,
Tout le meilleur il en faut prendre,
Pour en nostre langue le rendre :
Là où tout peut estre traitté,
Pourveu que bien tu te disposes,
S’il y a de la pauvreté,
Qui garde que tu ne composes
Nouveaux motz aux nouvelles choses ?
Si mesme à l’exemple te mires
De ceulx là que tant tu admires ?