❧ Au treschrestien Roy de France, Françoys premier de ce nom, Nicolas Herberay, l’un des commissaires ordinaires de son artillerie, baise les mains de sa magesté
Sire, au retour des guerres d’Artois et Luxambourg, poursuyvant la cronicque d’Amadis comme il vous a pleu me commander, il m’a semblé que ce qui est escript du Roy Perion et sa posterité, n’est aultre chose que la figure de vous et de messeigneurs voz enfans. Et qu’ainsi soit, si on a leu devant vous le premier volume de ceste hystoire, vous y avez veu que le Roy Perion (regnant en la mesme Gaule où vous commandez) print à femme madame Helisenne, fille du Roy de la petite Bretaigne, duquel est yssue (comme il est vraysemblable) la feue Royne, que Dieu absoule. Et eurent ce Roy Perion et la Royne sa femme, entre aultres enfans, Amadis, Galaor et Melicie, ausquelz je puis comparer monseigneur le Daulphin, monseigneur d’Orleans, et madame Marguerite. Et, croissant l’aage de ces jeunes princes, leurs affaires et celles du Roy leur pere creurent tellement, qu’ilz feurent assailliz de l’Empereur de Rome et du Roy d’Angleterre joinctz ensemble ; toutesfoys ilz les repoulserent. Si le semblable est advenu à voz deux anciens ennemys, je m’en rapporte au siege de Landrecy et à celluy de Carignan. Mais encores n’est ce rien au pris du bon heur qui vous est promis : car vous les rengerez (avecq’ le temps), ou pour le moins les mettrez à telle raison, qu’ilz seront trop plus contens d’entendre à une perpetuelle paix avecq’ vous qu’à esprouver davantaige voz forces. D’Amadis est semblablement descendu Esplandian, duquel traicte ce cinquiesme livre, et auquel je puis comparer vostre petit nouveau Duc de Bretaigne, qui (comme Esplandian) commandera (si Dieu plaist) durant voz jours aussi tost en Asie et Aphrique, que vous faites en la meilleure et plus grande partie de l’Europe - laquelle se tient pour tresheureuse d’estre si longuement gouvernée par un tel prince, tant saige, tant bon, et chevalereux comme vous estes. Et pour le reste (Sire) il ne tiendra qu’à vous que je n’aye aultant de grandz biens qu’eut maistre Elisabel, lequel escrivit en langue estrangere ceste presente hystoire que j’ay mise en la vostre Françoyse. Pour quelque fois sortant de voz affaires plus recommandées, donner recreation à vostre esprit, au moins si mon labeur vous est agreable. Ce que cognoissant, m’esforceray de plus en plus à le continuer et embellir, si la paix ou quelque tresve m’en donne le loysir : car durant la guerre (il y a vingt ans et plus) que je m’employe à vous faire service, et feray toute ma vie.