❧ A Monsieur Maistre Guillaume Telin, secrétaire de monseigneur de Guyse
Lisant ung jour le traicté d’amytié faict par Françoys Patrice, je me trouvay tout esbahy quand je vins à lire que l’absence des personnes est cause souvent d’oblivion d’amour et amytié, et que silence defface maintesfois les amytiez des hommes. Mais je trouvay après, que cela s’entendoit entre ceulx qui sont conjoinctz et enliez non pas de la vraye vertu, mais d’aucune legiere maniere d’umbre passant et faincte simulation d’amour, car la vraye vertu n’est incertaine, labile ne caducque, comme si ell’ estoit muable, mais quand ell’ est en haultes racines fichée, jamais on ne l’en pourroit arracher : car stables sont toutes les choses qui de celle vertu sont intextées, ny en petit moment ne sont à repoulser. Pourtant je dis que les Stoicques saigement pensent et arbitrent la vraye societé ou amytié estre le constant et non frangible lien, mais tout indissoluble, qui d’aucune necessité ou coustume n’a à jamais besoing, soyent ore les personnes qui s’ayment tant absentes que presentes. Parquoy cela lisant, ay congneu, qu’en oubly vous ne m’aviez mis, vous (dis je), mon trescher et plus que parfaict amy, combien qu’il me le fust aucunement advis, à raison que je n’avoys ouy ja dès long temps de voz nouvelles. Mais puis qu’amour est en absence deuement aussi bien qu’en presence, je me croy tousjours estre vostre parfaict et tout entier amy, comme le mien vous estes : et en signe de cela que fort je vous ayme, je vous envoye ce petit livre, vous l’offrant en memoire de noz grans amytiez, et à dieu soyez vous recommandé.